Arch Venture Partners est l’un des plus importants investisseurs au monde dans le domaine des biotechnologiques. Basée à Chicago, l’équipe dispose d’un bureau européen, en Irlande, depuis 2011. Arch a annoncé fin juin la clôture de son douzième fonds à 2,975 Mds$. Depuis, quatre investissements, dont le dernier en date du 12 septembre, ont déjà été annoncés portant le total à 427 en 36 ans d’après Crunchbase. Son cofondateur et directeur général Robert Nelsen détaille la stratégie pour Biotech Finances.
BiotechFinances : Le 29 juin dernier, vous avez annoncé votre douzième fonds, le plus important à ce jour. Avez-vous eu plus ou moins de difficultés que pour le dernier (1,85 Mds$) en janvier 2021 ?
Robert Nelsen : Lever des fonds n’est jamais facile, mais chez Arch, nous avons travaillé dur pendant de nombreuses années pour créer et faire croître des entreprises innovantes concentrées sur la recherche de solutions à certains des plus grands défis mondiaux en matière de santé. Nombre de ces entreprises ont également généré d’excellents rendements financiers pour nos investisseurs, ce qui a entraîné une augmentation de la demande pour nos fonds. Indépendamment des conditions actuelles du marché, le fait que notre approche ait fait ses preuves (et ne soit pas nouvelle justement) nous a permis de clôturer ce fonds de 2,975 milliards de dollars. Pour ce douzième fonds, nous avons attiré de nouveaux investisseurs qui ont des visions de très long terme, comme les grands family offices, les fonds de pension, les fonds de dotation universitaires ainsi que les fonds souverains. Ces investisseurs voient clairement plus loin que la situation actuelle sur les marchés d’actions.
BiotechFinances : Vous souhaitez investir dans des start-ups « ayant le potentiel de résoudre certains des plus grands défis en matière de santé ». Vous avez annoncé vous intéresser à un éventail de domaines d’intérêt, notamment les maladies infectieuses, la santé mentale, l’immunologie, l’oncologie, la neurologie, les maladies liées à l’âge, les outils génomiques et biologiques ainsi que les moyens de réimaginer les diagnostics et les thérapies. Avec-vous des préférences ?
Robert Nelsen : Nous associons de grandes découvertes scientifiques à de grandes équipes et nous aidons ensuite à construire ces entreprises. Il n’y a pas de formule unique. Ce qui est constant en revanche, c’est qu’il s’agit toujours d’une ou plusieurs technologies ayant un potentiel disruptif.
BiotechFinances : Pouvez-vous lever le voile sur l’identité de vos investisseurs ? Compte-t-on des Européens parmi eux ?
Robert Nelsen : Nous ne souhaitons pas révéler les noms de nos partenaires.
BiotechFinances : Vous préférez les biotechs en phase de démarrage. Existe-t-il suffisamment de projets intéressants ?
Robert Nelsen : Il n’y a jamais eu autant de développements technologiques intéressants dans le domaine scientifique. La véritable limite est la capacité humaine à créer de bonnes entreprises capables de transformer les technologies en produits commercialisables. Beaucoup sous-estiment la quantité de travail à réaliser entre la découverte et la commercialisation. Pour les technologies de pointe, il faut vraiment beaucoup d’efforts humains.
BiotechFinances : Quel est, à votre avis, le plus grand impact, positif ou négatif, de la pandémie sur les biotechnologies ?
Robert Nelsen : Les biotechnologies ont connu les mêmes perturbations liées à la pandémie que d’autres secteurs. Les interruptions d’activité ont affecté à la fois les chaînes d’approvisionnement et les opérations sur site notamment dans les laboratoires qui ne peuvent être gérées ou exploitées à distance. Certains projets ont donc été retardés. Cependant, la pandémie a également mis en évidence les travaux importants, mais souvent méconnus, réalisés sur les vaccins, les tests et les traitements. Une grande partie des vaccins étaient déjà en cours de développement, même s’ils n’étaient pas axés sur le Covid-19, mais les sociétés de biotechnologie ont prouvé qu’elles ont la capacité et l’agilité nécessaires pour s’adapter rapidement à une nouvelle menace. Au-delà des vaccins eux-mêmes, la connaissance de la génomique des populations ainsi que la présence d’usines de production sont devenues, souvent sans que cela se sache, des facteurs critiques pour la maîtrise de la pandémie. La crise sanitaire constitue vraiment un moment décisif pour les biotechnologies qui ont participé directement ou indirectement à l’élaboration de solutions. Jusqu’ici, les vaccins étaient généralement considérés comme destinés aux pays en développement, mais c’est désormais de l’histoire ancienne.
BiotechFinances : Dans une récente interview à Nikkei Asia, vous avez annoncé vouloir ajouter une quarantaine d’entreprises à votre portefeuille dans les trois à quatre prochaines années. Vous préférez donc investir dans plusieurs petites entreprises plutôt que de faire quelques gros investissements ?
Robert Nelsen : Nous faisons des investissements sous toutes les formes et de toutes les tailles. Notre règle est de dédier le montant nécessaire pour qu’une entreprise puisse faire progresser sa technologie et passer à l’étape suivante. Cette somme peut être de 50 000 dollars ou de quelques centaines de millions.
BiotechFinances : Vous êtes connu pour réaliser des investissements indépendamment des cycles de marché. Investissez-vous cependant comparativement plus lorsque les cours baissent ?
Robert Nelsen : La science ne se soucie pas de l’évolution des marchés. Les avancées actuelles sont stupéfiantes. Il y a une multitude d’innovations à développer.
BiotechFinances : Combien d’investissements avez-vous réalisés depuis le début de l’année et pour quel montant ?
Robert Nelsen : A date, nous avons investi environ 9 milliards de dollars à travers plusieurs fonds, mais nous ne dévoilons ni l’identité de toutes les sociétés de notre portefeuille ni les sommes que nous leur avons consacrées.
BiotechFinances : Comment décririez-vous votre portefeuille ?
Robert Nelsen : Notre portefeuille est orienté vers les sciences de la vie avec un mélange de disciplines complexes comprenant la biologie, la médecine, la physique, les matériaux avancés et l’informatique. Des secteurs autrefois considérés à part, tels que la science des matériaux, l’apprentissage automatique, l’informatique quantique et la génomique ne le sont plus. Un grand nombre des entreprises de notre portefeuille s’intéresse aux maladies infectieuses, aux cancers, aux troubles neurologiques, au vieillissement et au bien-être personnel, mais la médecine implique désormais un mélange de technologies différentes. Nous avons la chance d’avoir pu déjà créer des entreprises dans de nombreux domaines.
BiotechFinances : Vous investissez principalement dans des entreprises que vous cofondez avec des scientifiques et des entrepreneurs de renom. Pourquoi cette méthode ?
Robert Nelsen : Nous sommes des créateurs d’entreprises tout autant que des investisseurs. Nous consacrons énormément de temps et d’efforts à la création d’entreprises en travaillant avec les fondateurs et les dirigeants pour que ces entreprises repoussent les limites de la médecine. Nous sommes profondément impliqués dans nos entreprises et nous travaillons énormément avec elles pour les aider à réussir.
BiotechFinances : Quelle est la durée moyenne de vos investissements ?
Robert Nelsen : Nous continuons à nous concentrer sur la création d’entreprises et de structures avec une perspective de long terme. Nous ne calculons pas de moyennes, mais nous conservons nos participations beaucoup plus longtemps que d’autres.
BiotechFinances : Vous avez signé un accord commercial avec la société pharmaceutique coréenne JW Group le 13 juillet dernier pour promouvoir l’innovation ouverte. Cherchez-vous des partenaires en Europe ? Si oui, Bpifrance pourrait-elle en faire partie ?
Robert Nelsen : Nous ne voulons pas spéculer sur des partenaires ou des accords spécifiques, mais nous sommes de plus en plus actifs en Europe.
BiotechFinances : Que pensez-vous du marché européen ? Pensez-vous qu’il y a moins d’opportunités qu’en Asie, notamment au Japon ?
Robert Nelsen : L’Europe est un marché important pour les biotechs, en particulier pour les essais cliniques et le lancement de nouveaux médicaments. Un grand nombre d’innovations méritent d’être examinées de près – la communauté des chercheurs est vaste et talentueuse. Toutefois, les marchés européens peuvent être complexes et fragmentés, ce qui conduit parfois à une concurrence forcée plutôt qu’à des collaborations. Malgré cela, l’Europe est très importante sur la scène mondiale de la biotechnologie et l’approbation de l’Agence européenne des médicaments pour les candidats médicaments émergents est essentielle pour la commercialisation mondiale. Il n’y a pas moins d’opportunités en Europe qu’en Asie, bien que cela puisse être une perception, étant donné que le Japon ou la Chine ont des réglementations centralisées contrairement aux réglementations plus régionales en Europe.
BiotechFinances : Est-ce qu’il y a un pays européen qui vous intéresse particulièrement ?
Robert Nelsen : Nous avons réalisé des travaux importants en Islande, à Cambridge au Royaume-Uni et à Dublin en Irlande. Nous avons également développé des collaborations en matière de recherche en Allemagne. Néanmoins, nous nous concentrons davantage sur la technologie et moins sur la géographie. Nous allons là où la science nous mène.
Propos recueillis par
Annelot Huijgen



