Biotech Finances entame un tour de France des fonds régionaux. Le but : comprendre les dynamiques qui se jouent sur les territoires et les stratégies d’investissement qui en découlent.
BiotechFinances : Capital Grand-Est accompagne depuis 2012 les PME et start-ups de la région. Comment cette société est-elle née et quelle était sa philosophie de départ ?
Jean-François Rax : La société de gestion a été créée en 2012 et s’appelait à l’époque Alsace capital. Elle est née de la volonté de la région Alsace et du Crédit Mutuel de créer une société dédiée essentiellement à la gestion d’un fonds de capital développement. En 2014, il y a eu la volonté de monter un fonds d’amorçage, avec notamment le soutien de BpiFrance et du fonds national d’amorçage. C’est là que nous nous sommes rapprochés d’Invest PME, société de gestion basée en Bourgogne Franche-Comté. Ce premier fonds, qui finira en 2027, est doté de 45 M€ et a pour zone géographique l’Alsace, la Bourgogne et la Franche Comté. Nous avons déjà réalisé 27 investissements.
BF : Parmi ces investissements, que représentent les biotechs ?
Jean-François Rax : Notre particularité est d’avoir un deal flow marqué santé, biotech, medtech très important autour de Strasbourg. Après ce premier fonds, nous avons levé un fonds successeur pour continuer à jouer le rôle d’amorceur dans la région. Avec la fusion des régions, la société de gestion a changé de nom et de périmètre géographique. Cap Invest 2 rayonne sur l’Alsace, la Lorraine, la Champagne Ardenne. Ce second fonds, doté de 42M€, dispose toujours d’un fort ratio d’entreprises de sciences de la vie, mais la volonté de varier le portefeuille et le changement de géographie ont fait évoluer la couleur du deal flow. Actuellement, nous tendons vers un équilibre plus fort entre la santé, le digital et l’industrie / la transition énergétique. Au total, en comptant Alsace création (capitalisé à hauteur de 12 M€) – une société de capital risque dont nous avons récupéré la gestion – nous avons 21 sociétés dans le domaine de la santé dans notre portefeuille : une en diagnostic, une plutôt axée services, six medtechs et 13 biotechs.
BF : Quelle est votre stratégie d’investissement ?
Jean-François Rax : Nous avons un deal flow naturel car nous sommes connus dans la région et on nous contacte facilement. Mais cela reste le dealflow de la région Grand Est et nous avons davantage une approche de tri. Les biotechs opèrent dans tous types de domaines, ce qui nous permet d’avoir un portefeuille assez diversifié. C’est notamment lié à la présence de beaucoup de centres de recherche dans la région, pour certains de qualité internationale comme le GBNC, et nous avons quelques prix Nobel en Alsace. C’est une terre de recherche et de connaissances, notamment en santé, en sciences de la vie et en chimie. Nous n’avons pas à rougir par rapport à d’autres régions françaises ou étrangères !
BF : Quels sont les atouts et les faiblesses des biotechs dans la région ?
Jean-François Rax : Le gros moteur de la région est l’Ircad, l’IHU et le Pr Marescaux, qui a développé un pôle en chirurgie digestive et en chirurgie minimalement invasive. L’Institut hospitalo-universitaire, de grand renom, a créé une grosse dynamique sur les medtechs. Les dossiers que nous recevons sont de qualité et la région dispose de structures d’accompagnement et d’incubateurs de bon niveau, c’est un écosystème qui fonctionne très bien. Le coté négatif – qui est probablement le même dans les autres régions hors Île-de-France – c’est que nous sommes un peu isolés et nous avons du mal à convaincre les VC nationaux ou internationaux. C’est pourquoi nous poussons les dirigeants à aller noyauter les réseaux parisiens. Et nous essayons de travailler sur notre proximité avec la Suisse et l’Allemagne. En ce moment, nous avons beaucoup de deals avec des Belges. Ils regardent très activement le deal flow Français, ont énormément d’argent à investir, disposent de fonds bien constitués et professionnels.
Marie Albessard
Urania therapeutics s’élance vers une série A
Après une première levée de fonds de 3,5 M€ en 2019 (auprès d’Adbio, du fonds Cap innov’est et de NovAliX) et une aide deeptech de Bpifrance d’1,7 M€, le spin-off de l’IGBMC (Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire) de Strasbourg vise une entrée en clinique en 2026. « Ces premiers financements nous ont permis de développer de nouveaux traitements pour les maladies monogénétiques (comme la mucoviscidose, la myopathie de Duchenne) et certains cancers causés par des mutations non-sens. Dans ces mutations, il manque une protéine à la cellule et celle-ci dysfonctionne », indique Jean-Paul Renaud, président, directeur scientifique et acting CEO d’Urania Therapeutics. L’approche basée sur la structure du ligand dans le ribosome s’appuie sur les recherches des scientifiques Marat Yusupov et Gulnara Yusupova à l’IGBMC, également cofondateurs. Leurs résultats permettent à Jean-Paul Renaud de se montrer positif : « En 3 ans, nous sommes parvenus à avoir des molécules 10 à 20 fois plus actives que la ELX-02 de nos concurrents, actuellement en phase clinique. Un bénéfice thérapeutique est attendu pour la mucoviscidose concernant notre molécule la plus prometteuse, ajoute-t-il. Nous espérons lever jusqu’à 15 M€ pour arriver en clinique, voire jusqu’en phase 2a de collecte de données sur des patients ».
Braintale en route vers les marchés internationaux
Nous nous étions fait l’écho dans notre numéro du 23 juin 2023 de la levée de Braintale de 4,5 M€ auprès de Capital Grand Est, la MASCF, de business angels et de professionnels de santé ainsi qu’une aide deeptech de Bpifrance Grand Est. « Dès que j’ai été CEO, j’ai souhaité étendre nos activités au-delà de l’Île-de-France pour avoir une proximité géographique avec notre marché d’intérêt et pour la qualité de l’accompagnement dans la région », indique Julie Rachline, la CEO. Avec cette levée, l’entreprise de neurosciences spécialisée dans la mesure de la substance blanche (70 à 80% du cerveau), ambitionne une expansion géographique et le recrutement d’une équipe business et data science. Grâce à sa plateforme de biomarqueurs, Braintale transforme une image issue d’une IRM de diffusion en marqueurs biologiques, devenant ainsi un outil de suivi et de prédiction des troubles neurologiques et d’aide à la décision médicale : « Notre objectif est que d’ici 10 à 15 ans la mesure de la matière blanche du cerveau soit devenue un outil essentiel de prise en charge en neurologie. En réanimation, on est capable de prédire la sortie du coma d’un patient après un arrêt cardiaque ou un traumatisme crânien, ajoute Julie Rachline. Notre but est que cette mesure de la matière blanche devienne aussi un outil de dépistage des troubles et maladies neurologiques, comme ce qu’on fait actuellement pour les cancers du sein, du col de l’utérus… »
Syndivia vise la clinique en 2026 pour son SDV2102
« Notre produit principal, le SDV2102, vise le cancer métastatique de la prostate. Après 4 années de développement, nous entamons une phase de levée de fonds pour le lancer en clinique en 2026 », annonce Sasha Koniev, CEO de Syndivia. Créée en 2014, cette biotech strasbourgeoise d’oncologie développe des conjugués d’anticorps pour le traitement de cancers dits « solides ». « Nous avons développé une technologie qui permet de mettre de la chimio sur les anticorps de manière à diminuer la toxicité du complexe et de gagner en efficacité, ajoute le CEO. Nous sommes la première société à dire qu’il faut mettre moins de charge toxique et plus d’anticorps pour que ce dernier réalise mieux son rôle de ciblage. » Pour SDV2102, Syndivia est en cours de lancement d’une série A de 25 M€. Depuis ses débuts, la biotech a financé sa recherche avec un seed round de 1,25 M€ puis des contrats avec des sociétés, à l’image de son SDV1001 (tumeurs malignes mutantes KRAS) en partenariat avec TMV Capital, en phase d’étude de toxicologie aux USA ou d’un second programme en phase I/2a sur le cancer du sang, avec un partenaire encore confidentiel à l’heure de l’écriture de ces lignes.
Apmonia se lance dans une série A de 20 M€
Le spin off du CNRS et de l’Université de Reims, spécialisé dans l’identification de sites thérapeutiques issus de la matrice extra cellulaire, prépare une série A de 20M€ pour supporter le développement clinique de son produit le plus avancé, AP-01. « Nous avons pris le parti de cibler la matrice extracellulaire et nous avons développé des outils bio-informatiques dédiés à l’appréhension et à l’étude de ce type de protéines. Nous utilisons une approche peptidique pour être sélectif sur des interactions entre les protéines de la matrice et les ligands et récepteurs d’intérêt sans générer d’effets indésirables, expose Albin Jeanne, PhD et président d’Apmonia. Notre produit le plus avancé cible la TSP-1, que l’on retrouve dans un grand nombre de tumeurs solides. » Avec ce premier produit, Apmonia vise le cancer ovarien, le cancer colorectal métastatique et le cancer du pancréas. Sur ces maladies avec une forte mortalité, Apmonia entend apporter de nouvelles options thérapeutiques. Le président ajoute : « Notre objectif est d’apporter la preuve de concept clinique à l’horizon 2026 et en parallèle d’emmener 2 à 3 autres candidats en développement pré-clinique réglementaire ».
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