À l’instar de ces serpents de mer, qui écumant les eaux profondes, remontent de temps en temps à la surface devant nos yeux ébahis, la reproductibilité des expériences précliniques reste un problème vivace pour l’industrie pharmaceutique. Un article récent publié par eLife, journal scientifique en libre accès, soulève à nouveau ce problème qui mine de plus en plus la recherche préclinique translationnelle. Les auteurs ont montré sur un échantillon, certes de petite taille, de 50 expériences issues de 23 articles, que le taux de reproductibilité était de 46%, confortant les résultats d’Ioannidis (50%) et de Lightgow, Driscoll et Philipps (25-39%). De plus, les auteurs postulent, dans une idée quelque peu à contre-courant, que la reproductibilité des données aurait à pâtir de cette quête constante d’innovation et de nouveauté. Leurs données sont compatibles avec celles de Prinz et al. de Bayer Healthcare en 2011, qui sur 67 projets et 23 scientifiques (chefs de laboratoires) audités, établissaient qu’entre 80 et 75% des projets posaient des problèmes. Des données qui avaient secoué le secteur en leur temps, car l’un des piliers de notre recherche scientifique moderne est bien la diffusion des connaissances (si possible exacte et factuelle) et leur capacité de reproduction. Mais il semble d’ailleurs qu’un certain nombre d’expériences et de techniques développées en Intelligence artificielle dans le domaine des sciences du vivant soient elles aussi sujettes à caution. Faut-il y voir un effet du sujet d’étude en l’occurrence le vivant qui afficherait une plus grande variabilité ? L’accélération de la production de connaissances qui en mettant en jeu des méthodes et des techniques de plus en plus complexes pour étudier des objets eux aussi plus complexes (voies métaboliques, génétiques, cibles difficilement « druggables »…) ne permettaient plus cette reproductibilité ? Ou encore, une sorte de dictature de l’innovation, qui dans un processus autoréalisateur suffirait à justifier la difficulté voir son impossibilité à être reproduite ? Peut-être aussi faut-il y voir une possible opposition entre la science (auto-correctrice et régulatrice parce que reproductible) et l’innovation (autarcique et non-régulée tirée par le marché). Les questions abordées sont multiples et nécessairement controversées. D’aucuns pourraient s’interroger à l’aune de ces idées sur la sorte de déconsidération qu’a vécu la science durant l’épisode COVID, où le socle de confiance sur lequel elle était établi a été battu en brèche dans une sorte de rupture d’un contrat social patiemment construit.
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